Près d’un salarié sur quatre travaille de nuit ou à des horaires décalés en France. Sans surprise, la plupart se plaignent de troubles du sommeil, d’insomnies et de somnolence ; car oui, le travail de nuit n’est pas sans risques pour la santé des salariés. Les rythmes circadiens de l’être humain sont conçus pour un fonctionnement éveil-jour, sommeil-nuit. Le travail en horaires décalés désynchronise donc ces rythmes et l’horloge biologique.

Tous ces impacts sur le sommeil et la santé physique ont malheureusement des répercussions sur la santé mentale. Cela peut même provoquer de sérieux troubles psychosociaux.

Si le travail de nuit, posté ou en horaires atypiques ne peut être évité, il existe tout de même des bonnes pratiques pour en limiter les effets sur la santé. Quels sont les facteurs de risques psychosociaux provoqués par le travail de nuit ? Quels sont les effets à terme sur la santé mentale ? Que peut donc mettre en place l’employeur pour prévenir les risques psychosociaux et préserver la santé mentale de ses salariés qui travaillent en horaires atypiques ? Quelques pistes de réflexions dans la suite de notre article.

Travail de nuit, travail en horaires atypiques, travail posté… que dit le code du travail ?

Les horaires dit atypiques comprennent tous les aménagements et temps de travail qui ne sont pas « standards ». Le travail standard correspond à cinq jours réguliers par semaine, du lundi au vendredi, entre 7 h et 23 h, avec deux jours de repos hebdomadaires.

37% seulement des Français ont des horaires de travail dits “standards”.

Source : Etude de la DARES, Ministère du Travail, 2017

Il existe différents types d’horaires dits atypiques : 

  • Le travail sur appel ou astreintes ;
  • Le travail de nuit (de 21 heures à 7 heures) ;
  • Les rythmes de travail irréguliers (travail posté : 3×8, 4×8 / 5×8, 2×8*) ;
  • Le travail le week-end et jours fériés ;
  • Le travail flexible ;
  • Les journées fragmentées par des coupures de plusieurs heures ;
  • Le travail le soir (entre 21 heures et minuit).

*Point sur les trois grands groupes de travail posté :
3×8 : 3 équipes (matin, après-midi, soir) se relaient sur le même poste pendant 24 heures (interruption le week-end) ;
4×8 / 5×8 : 3 équipes en activité (matin, après-midi, nuit) et une au repos (7j/7) ;
2×8 : une équipe le matin et une l’après-midi (discontinu).

Le travail de nuit

Selon la loi, « tout travail effectué au cours d’une période d’au moins neuf heures consécutives comprenant l’intervalle entre minuit et 5 heures est considéré comme travail de nuit. Il commence au plus tôt à 21 heures et s’achève au plus tard à 7 heures. » (Article L3122-29 et suivants du Code du travail)

La durée quotidienne de travail accompli par un travailleur de nuit ne peut excéder 8 heures, sauf lorsqu’un accord collectif le prévoit (Article L3122-34) et la durée hebdomadaire d’un travailleur de nuit ne peut excéder 40 heures sauf convention et accord de branche (Article L3122-35).

Le recours au travail de nuit doit prendre en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et doit être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale. Il doit être mis en place sous certaines conditions.

Le travail de nuit concerne 30% des salariés de la fonction publique et 42% des salariés des entreprises privées de service.

Source : Etude de la DARES, Ministère du Travail, 2017

Le travail posté

Le travail posté correspond à une organisation dans laquelle plusieurs équipes se relaient successivement aux mêmes postes de travail selon une rotation prédéfinie.

Il n’est pas défini par le Code du Travail mais par la directive européenne de 2003 (directive 2003/88/CE) qui précise que « le travail posté correspond à tout mode d’organisation du travail en équipe selon lequel des travailleurs sont occupés successivement sur les mêmes postes de travail, selon un certain rythme, y compris le rythme rotatif, et qui peut être de type continu ou discontinu, entraînant pour les travailleurs la nécessité d’accomplir un travail à des heures différentes sur une période donnée de jours ou de semaines ». 

Le travail « en équipes successives et alternantes » et le travail de nuit font partie des facteurs de pénibilité visés par le Code du travail. Chaque employeur doit donc déclarer l’exposition des travailleurs à ces facteurs de risques.

Quels sont les facteurs de risques psychosociaux liés au travail de nuit ?

Les sept familles de facteurs de risques psychosociaux 

La grille d’évaluation des facteurs de RPS recense sept grandes familles de facteurs de RPS : 

  • Intensité et complexité du travail ;
  • Horaires de travail difficiles ;
  • Exigences émotionnelles ;
  • Faible autonomie ;
  • Rapports sociaux dégradés ;
  • Conflits de valeurs ;
  • Insécurité de l’emploi.

Les facteurs de risques psychosociaux liés au travail de nuit

  • Intensité et complexité du travail : rythmes de travail difficile, forts niveaux d’attention et de vigilance requis, surcharge de travail, absence de contrôle sur la répartition et la planification des tâches (si les horaires sont imprévisibles) ;
  • Horaires de travail difficiles : travail de nuit / travail posté, qui peuvent entraîner un manque de sommeil, du stress et/ou un mauvais équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ;
  • Environnement physique et technique de travail : mauvaise conception des lieux et espaces de travail, nuisances physiques (très souvent le travail de nuit est associé à un travail physique ou difficile [ouvrier en usine, chauffeur routier, préparateur de commandes, infirmier de nuit, médecin urgentiste, etc.]).

Les contraintes horaires sont plus fortes dans le secteur public, notamment pour les agents qui assurent la permanence des soins ou la sécurité des personnes (infirmiers, policiers, etc.)

Source : Etude de la DARES, Ministère du Travail, 2017

Quelles sont les conséquences pour la santé mentale du travail de nuit ?

Le travail de nuit n’est pas sans risques pour la santé. En effet, les rythmes circadiens de l’être humain sont conçus pour un fonctionnement éveil-jour, sommeil-nuit. Le travail de nuit, posté ou en horaires décalés, bien que l’homme puisse s’y adapter, désynchronise l’horloge biologique et diminue le temps de sommeil.

Travailler de cette manière n’est donc pas sans risques pour la santé physique, comme la santé mentale !

Les effets du travail de nuit sur la santé mentale et physique

Quels sont les effets du travail de nuit sur la santé physique ?

  • Augmentation du risque de crises cardiaques, d’accidents coronariens et/ou d’accidents vasculaires cérébraux : le dérèglement du rythme circadien a une influence sur le profil tensionnel, la fréquence cardiaque ou le métabolisme ;
  • Troubles du sommeil et de la vigilance ;
  • Risques de cancer du sein, perturbation de la grossesse pour les femmes ;
  • Risque d’obésité, de surpoids : l’hormone de la faim (ghréline) est sécrétée pendant l’éveil et l’hormone de la satiété (leptine) est sécrétée pendant le sommeil. Ces hormones sont perturbées par un rythme de travail en horaires décalés.

Le travail de nuit peut également avoir des conséquences négatives sur la vie sociale et familiale : 

  • Déséquilibres dans le fonctionnement familial (heures de coucher différentes) ;
  • Limitation du temps passé avec les enfants et/ou dans son couple ;
  • Soucis d’articulation vie professionnelle – vie privée ;
  • Difficultés à organiser des rencontres amicales, d’accéder aux activités sociales culturelles, etc.

Le travail de nuit concerne 21,5 % des hommes salariés et 9,3% des femmes. Depuis 20 ans, le nombre de femmes travaillant de nuit a doublé : 500 000 femmes en 1991 vs 1 million en 2012 (alors que la proportion d’hommes a augmenté de 25%).

Source : Etude de la DARES, Ministère du Travail, 2017

En raison de la fatigue, des troubles du sommeil, des troubles métaboliques et du mauvais équilibre de vie que peut entraîner le travail de nuit ou posté, la santé psychique peut être affectée : 

  • Stress, anxiété ;
  • Fatigue chronique nécessitant parfois une prise de médicaments antidépresseurs ou anxiolytiques ;
  • Irritabilité, agressivité ;
  • Dépression ;
  • Troubles de l’humeur, troubles de la personnalité ;
  • Détérioration des capacités cognitives (concentration et mémoire) attribuables à la privation de sommeil.

Les travailleurs de nuit augmenteraient leurs risques de crises cardiaques de 23%, de 24% pour les accidents coronariens et de 5% pour les accidents vasculaires cérébraux.

Source : Fondation Recherche Cardio-Vasculaire

Selon le rapport d’expertise collective de l’ANSES de 2016, les risques du travail de nuit sont regroupés en trois groupes :

Effets avérésEffets probablesEffets possibles
Troubles du sommeil
Baisse de la vigilance
Syndrome métabolique
Détérioration des performances cognitives
Dégradation de la santé mentale
Cancers
Obésité ou surpoids
Diabète de type 2
Maladies coronariennes
Dyslipidémies
AVC
Hypertension artérielle

Les effets sur la santé mentale des horaires atypiques sans nuit

Les astreintes

L’astreinte est une période pendant laquelle le salarié doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur.

L’imprévisibilité des appels téléphoniques est un frein à la déconnexion du salarié car elle maintient une charge mentale. Cela affecte également le temps consacré à la vie personnelle (vie familiale, vie sociale).

Le travail le dimanche

Travailler le dimanche peut impliquer une perte des liens sociaux (familiale et amicale) ainsi qu’une diminution du temps de loisir. Il peut y avoir également moins de managers et de titulaires le dimanche, ce qui peut affecter l’accidentologie des jeunes travailleurs.

Cette forme de travail peut donc : 

  • Engendrer davantage de fatigue s’il s’agit d’un second travail ;
  • Affecter le sommeil : la qualité du repos n’est pas la même un jour de semaine (plus de bruit, activités familiales, etc.)

Les intérimaires, les hommes trentenaires et les femmes de moins de 30 ans travaillent plus fréquemment la nuit.

Source : Etude de la DARES, Ministère du Travail, 2017

Le travail en horaires flexibles ou imprévisibles

Le travail flexible ou imprévisible (les salariés n’ont pas le contrôle sur cette flexibilité) est associé à davantage de fatigue et une mauvaise santé. Cette forme de travail affecte d’autant plus les femmes qui assument encore la majorité des contraintes familiales. Cela leur demande d’anticiper leur organisation, ce qui peut augmenter leur charge mentale. Par exemple, de nombreuses infirmières ressentent de l’épuisement émotionnel en raison de la grande variabilité de leurs horaires.

Comment prévenir l’impact du travail de nuit sur la santé mentale ?

Si le travail de nuit / posté ne peut être évité, certaines bonnes pratiques permettent d’en prévenir les effets. 

Que peut faire l’employeur pour prévenir l’impact du travail de nuit sur la santé ?

Agir sur l’organisation du travail :

  • Privilégier les rotations rapides en cas de travail posté ;
  • Affecter en priorité les salariés volontaires à des postes de nuit ;
  • Permettre à ceux qui le souhaitent de retrouver des horaires classiques.

Adapter les locaux et les horaires de travail : 

  • Eviter les postes longs, supérieurs à 8 heures ;
  • Repousser le plus possible l’heure de prise de poste du matin (après 6 heures) ;
  • Définir des heures de poste compatibles avec les horaires des transports en commun ;
  • Aménager des espaces de repos pour permettre des micro-siestes nocturnes.

80% des professionnels de la santé qui travaillent en horaires décalés ont un trouble de continuité du sommeil et 62% ont un trouble d’endormissement.

Source : Réseau Morphée, 2018

Évaluer la santé des travailleurs de nuit :

  • Suivre des indicateurs clés concernant la santé et la sécurité au travail : heures auxquelles sont survenus les accidents, nombre d’incidents remontés la nuit, nombre de maladies professionnelles… ;
  • Mener des enquêtes internes pour soulever certaines problématiques ;
  • Faire suivre les salariés par la médecine du travail régulièrement (obligatoire).

Organiser des sensibilisations et formations :

Que mettre en place concrètement pour prévenir les RPS ? Nous vous donnons 10 actions dans notre webinaire. Au programme : les étapes clés d’une démarche de prévention des RPS et 10 idées d’actions concrètes pour prévenir les RPS au travail. ?

Que peut faire le salarié pour limiter les risques sur la santé mentale liés au travail de nuit ?

Le salarié peut lui aussi mettre en place de bonnes habitudes pour limiter les risques liés au travail de nuit et développer une meilleure hygiène de vie : 

Se créer une routine de coucher

Comment mieux dormir lorsqu’on travaille de nuit ? Vous pouvez par exemple créer une routine de coucher. Se créer des habitudes avant de dormir permet de ritualiser le coucher et d’améliorer considérablement son sommeil. Réalisez des activités calmes pour apaiser le corps et l’esprit.

Pratiquer une activité physique

L’activité physique régulière favorise le sommeil lent et profond. Elle permet d’améliorer la qualité du sommeil, de relâcher les tensions et de garder une certaine vitalité. Attention cependant à ne pas pratiquer une activité physique intense juste avant d’aller au lit.

Sortir et s’aérer

Une trop faible exposition à la lumière peut perturber le sommeil, réduire son énergie et provoquer des troubles de l’humeur. Il est donc important de s‘exposer à la lumière naturelle.

Simuler le jour et la nuit

Vous pouvez vous exposer à la lumière vive lors de la première moitié de votre travail pour rester éveillé et rentrer chez vous en portant des lunettes aux verres orangés afin d’atténuer la lumière intense du matin et simuler la nuit. Veillez également à dormir dans le noir complet, grâce à des rideaux opaques et/ou un masque de nuit.

Avoir une alimentation équilibrée 

Veillez à respecter un équilibre alimentaire sous forme de trois repas variés et complets par jour avec des horaires décalés, pour rester en forme. Prenez vos deux plus gros repas au lever et en milieu de nuit et gardez le repas le plus léger avant le coucher. 

Évitez le café, la consommation d’alcool et la cigarette 4 heures avant d’aller vous coucher, et évitez les aliments trop épicés puisque les travailleurs de nuit sont plus sujets aux malaises gastriques. 

Pensez également à vous hydrater suffisamment (eau minérale).

Dormir dans un environnement calme

Privilégiez un endroit calme, sombre et frais. Eteignez la sonnerie de votre téléphone pour éviter de vous faire réveiller. Sensibilisez vos proches, même les enfants, à respecter vos moments de sommeil. Portez des bouchons d’oreilles si nécessaire pour éviter les réveils causés par le bruit dans la rue ou par vos proches éveillés.

En cas de difficultés plus profondes, n’hésitez pas à en parler à votre médecin ou à la médecine du travail. Ils pourront vous conseiller sur les options disponibles : prise de médicaments, recommandation de retour à des horaires classiques, solutions naturelles, etc.

Il existe bien entendu de nombreuses autres solutions pour prévenir l’impact que pourrait avoir le travail en horaires atypiques sur la santé mentale (et physique !). Tous nos conseils permettent de mieux le vivre ; mais en cas de réelles difficultés, il est recommandé d’en parler à un médecin. Ce dernier sera le plus à même de vous conseiller pour prendre soin de votre santé. L’employeur a également un rôle à jouer sur l’organisation et l’environnement du travail afin de prévenir les risques psychosociaux et prendre soin de la santé de ses collaborateurs.

Ces articles devraient vous intéresser :

  1. rps et secteur médico-social
  2. Travail de nuit
  3. travail de nuit